Dans le bain de la Photographie et du Territoire

Retour sur le Festival Zoom Photo en Couserans  à Seix (Ariège) – 12 au 14/05/23

Juste rentré d’une Belgique pluvieuse, débarqué du train dans la pluie de Toulouse, vite chercher le flyer de ce festival ZOOM PHOTO EN COUSERANS dont j’avais oublié les dates. C’est déjà mort pour le vernissage, alors le lendemain, rebelotte le train à 6h44-Matabiau, puis le car 452 à Boussens jusqu’à Seix où j’arrive – dans la pluie – juste à temps pour la table ronde dans la grande salle du château.

Faut se mouiller parfois quand on désire fort quelque chose ou quelqu’un. On est plus attentif à la qualité de la rencontre : prêt à s’exposer dans l’échange où, avec un peu de chance, l’autre n’attendait que ça. Magie.

L’équipe du festival a su réunir et installer les conditions qui favorisent ces rencontres singulières, entre imaginaires créatifs et territoires de caractère. On y retrouve sans surprise les membres de l’Asso Déclic, arpenteurs des chemins, des vallées, et des villages, exactement à leur place. L’association Autres Directions avec Le Bus – Espace Culturel, formidable outil à tisser une identité culturelle contemporaine pour une Ariège où tous les habitants se reconnaissent. Le Collectif Trigone : aiguillon avisé qui sait stimuler la curiosité dans la pratique photographique et greffer, organiser des animations qui dynamisent des événements comme celui-ci. D’autres structures appuient l’initiative de ces organisateurs : les programmateurs de l’ADECC, la Communauté de Communes Couserans-Pyrénées, et l’incontournable Espace Saint-Cyprien de Toulouse.

La table ronde Interaction.s : Photographes, Territoiress, et Habitant.e.s a tenté de disséquer le vecteur de la photographie comme instrument de rencontre. On a essentiellement entendu des photographes (mais où étaient les habitants??) témoigner de leur posture, de leur approche, de leurs expériences, tant dans la manière d’aborder un territoire – parfois inconnu (comprendre sa géographie, son histoire, sa dynamique, …) que dans le soin apporté à l’échange : qu’est-ce qu’on vient « prendre » et surtout qu’est-ce qu’on apporte à ce territoire, à ses habitants ?
Le contexte d’une « résidence photographique » – avec sa demande de restitution en fin de parcours, laisse plus ou moins de liberté aux photographes. Dans tous les cas, l’enjeu est de permettre aux habitants de se reconnaître dans le regard de la / du photographe, qui les découvre et les respecte autant qu’elle / il les étonne. Dans tous les cas, la réussite de la rencontre dépendra de la personnalité de chacun, des deux côtés de l’objectif (dans les deux sens du terme).

Lever d’entrée l’appareil photo sous le nez de son interlocuteur, c’est sûr que ça ne va pas le faire.
Des fois, on repart sans la photo, mais tout de même avec l’histoire de la rencontre réussie. C’est Anne Desplantez qui parle (Association Déclic).

photo FIFV

On n’embrasse pas une femme en lui sautant dessus me confie plus tard Rodrigo Gomez Rovira. Ce gars est immense. Un colosse en photographie. Un regardeur capable de déclencher autant pour la photo – si elle se présente, que par affection pour son sujet, j’en suis sûr. Dans les salles du château de Seix, une large exposition des images de ce Chilien, un temps réfugié en France réfugié en France – dictature oblige, mêle des photos de son pays natal, où il réside désormais, à celles saisies dans le Couserans au gré d’une résidence et de vadrouilles toutes personnelles. Directeur du Festival International de Valparaiso, Rodrigo a également publié plusieurs livres. Celui que j’ai emporté, Registre des Voyageurs, offre une incroyable palette graphique qui harmonise ses photographies et les aquarelles d’Anamaria Briede dans une texture de noirs et blancs d’une sensualité qui appelle le toucher. La réalisation de l’objet livre (ou cahier) est un projet éditorial d’une rare audace mais qui colle on ne peut mieux à l’identité de Rodrigo. Bravo à Filigranes Editions, à Patrick Le Bescont pour la réalisation graphique.

Il reste du temps avant le déjeuner, l’occasion de parcourir les autres expositions.
Traversées, une exposition rétrospective et collective.
Tao Douay: La falaise des Ames.
Séverine Gallus: Trisomique et alors?
Thomas Guillin: Conquêtes.
Arthur Batut, une figure du photographe amateur.
Nicholas Nixon, collection du Château d’Eau

Je voudrais juste souligner ici l’originalité et la qualité de leur scénographie, chacune composée dans un récit qui sert en soi la thématique autant qu’il raconte le lieu qui l’accueille : le vieux parquet des salles du château, la chapelle tapie dans la lumière et la poussière de son dernier sacrement (mais l’orgue joue encore), la peinture défraîchie des murs du presbytère, le Bus-espace culturel… Voilà qui change des galeries lookées façon chambre froide 😄

Midi. J’opte pour le restaurant traditionnel sur la place, dans l’idée d’y trouver peut-être les habitants de ce territoire, qui ont manqué je trouve à la table ronde racontée plus haut. Mais non … Quelques habitués. Une dame que l’on place à ma table et qui déclame gentiment mais doctement l’équivalent d’un flyer de l’office de tourisme vantant les attraits de la région. J’acquiesce poliment et je me sauve. Pas davantage de monde dans les ruelles en ce samedi pluvieux d’entre-saison : bistrots fermés, la boutique de produits du terroir n’offre que trois demi-tomes de fromage « on ne m’a pas livré le reste».

Va pour le territoire. En face de la chapelle, deux hommes débarquent une jument de la bétaillère devant les chiens curieux. Une fois dans le pré, elle tient à distance l’étalon avec lequel elle va partager le pré. Hennissements et ruades : la noce n’est pas pour tout de suite. Village trempé de pluie. Eau vive de printemps, descendue de la montagne, qui s’engouffre sous les passerelles de pierre, se brise en écume contre les murs des caves qui la borde, avant de rejoindre le Salat.

Rive du Salat, vers l’amont. Pluie fine, herbes lourdes à tremper les jambes du pantalon, foison de fleurs qui explosent sur le moindre brin d’herbe, boue du chemin. Le moi de Mai est ici organique, généreux. L’âpreté des canicules qui désormais dévorent les étés donnera sans doute un autre visage aux territoires, mais ils défendront leur nom.

En longeant la rivière, j’avais en tête la mélodie de Land and Country, composée par P.Faccini et interprétée par Yelli Yelli sur son album Terre de mon Poème. Vous avez dit territoires ?
Special dedicace à Rodrigo, Anne, Arno, Ingrid, en souvenir de nos parlottes ce jour-là.

Faute de temps (failli rater le car-retour bon sang!), j’ai zappé les animations du Bus, du Collectif Trigone, la séance de dédicace des bouquins, le parcours commenté des expos, etc … mais l’énergie de ce programme a infusé ma journée, et tout le WE certainement !

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Après la clôture du festival dimanche, seules restent visibles l’exposition Echos du Silence, de Rodrigo Gomez Rovira, jusqu’au 18 juin au Château de Seix, les WE de 14h30 à 18h ; et celles accrochées aux cimaises de la Médiathèque de Seix, aux heures d’ouverture jusqu’au 15 septembre : Trisomique et alors ? (Séverine Gallus), Conquêtes (Thomas Guillin).

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L’exposition Echos du Silence, de Rodrigo Gomez Rovira, a été co-produite par le Festival Internacional de Fotografia de Valparaiso (FIFV) et le Département Photographie de l’Espace Saint-Cyprien de Toulouse, avec le projet pour ce dernier de la programmer dans sa galerie en septembre / octobre de cette année.

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Rodrigo Gomez Rovira exposera dans la cadre du prochain festival Images Singulières à Sète (18/05 au 11/06).

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Le Bus – Espace culturel

Association Declic

Collectif Trigone

Espace Saint-Cyprien

Rodrigo Gomez Rovira

Images Singulières à Sète

 

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